J'aime et je déteste l'été (2)

J'aime et je déteste l'été

L'appel du désert

L'appel du désert me colle à la peau 
(entre autres choses)

Les hommes habillés en rose

Mon voisin de terrasse est habillé en rose, je déteste les hommes habillés en rose. Je préfère mon briquet rouge. 
Il y a 48 heures assise à la même terrasse pendant que mes sauterelles pédalaient dans les ruelles du village, Gudrun m'a demandé : "Mais tu fumais avant ?"
. Mes sauterelles ont l'âge où l'on parle des garçons, elles échangent des secrets au coin balançoire. 
J'échange des secrets avec un presque inconnu. 
Aujourd'hui, je vois des hommes habillés en rose à chaque coin d'œil. Cette nuit, j'ai rêvé que mes jambes étaient nues sous la neige, mais je n'avais pas froid, pas même la chair de poule. Il y a 2 jours, j'ai failli écrire dans un message que j'étais une poule mouillée. Mais c'est quoi une poule mouillée ? 
ça veut dire quoi de rêver de jambes nues sous la neige ? 
et ça veut dire quelque chose quand on aime les hommes habillés en noir et surtout pas en rose ?. C'est l'heure de ma deuxième cigarette. 
Les sauterelles ont décrété que j'avais droit d'en fumer 5 par jour, pas une de plus. 
Qui fixe les règles ?. Je viens d'écrire cette phrase : "Canaliser ses excès, est-ce bien raisonnable ?"
. Mes sauterelles me rejoignent : "T'en as fumé combien ?". 
Comme elles sont en retard de 4 minutes, j'en négocie une 6ème pour la journée. 
J'ai gagné 2 larges sourires, et les sourires de sauterelles, ça n'a pas de prix.

Le rendez-vous sur la colline

Hier, j'avais rendez-vous avec A sur un morceau de colline. Elle m'a fait un signe de la main quand elle m'a aperçue au loin. Nous nous étions quittées au beau milieu de l'hiver. 
À peine arrivée à sa hauteur, je lui ai dit que ce chapeau que je ne lui connaissais pas lui allait drôlement bien. 
En marchant jusqu'à elle, j'ai senti ma jambe droite récemment fragilisée se contracter. Le soleil me brulait la nuque. Un insecte cherchait quant à lui à se faufiler dans la manche gauche de ma blouse au tissu ultra léger. 
Au retour, je me suis arrêtée sur le bord de la route pour écrire un message. J'ai ensuite redémarré d'un coup sec et me suis retrouvée collée au cul d'une voiture de touriste. 
Une épreuve en forme de routes étroites. Mes pensées sinueuses promettant de m'étouffer quelques heures plus tard. Je n'ai pas l'art de l'anticipation. J'ai l'art de me vautrer dans le réel.

 

Frankie Addams

John Henry dormait déjà. Elle l'entendait respirer dans l'ombre et elle avait ce qu'elle avait désiré pendant tant de nuits cet été : quelqu'un dormant près d'elle, dans son lit. Allongée dans la nuit, elle l'écoutait respirer, puis elle se souleva sur un coude. Il était là, tout petit et plein de taches de rousseur dans la clarté de la lune, la poitrine nue et blanche, un pied pendant hors du lit. Avec précaution, elle posa sa main sur la petite poitrine nue et se rapprocha de lui : on aurait dit qu'une petite horloge marchait à l'intérieur et il sentait la sueur et Douce Sérénade. Il avait l'odeur d'une petite rose aigre. Frankie se pencha et le lécha derrière l'oreille. Puis elle respira profondément, appuya son menton sur la petite épaule maigre et morte et ferma les yeux. Maintenant, avec quelqu'un dormant dans le noir à côté d'elle, elle avait moins peur.

"Frankie Addams", Carson McCullers

Les filles du bord de route

Souvent, je roule trop vite, parce que je n'aime pas les limitations de vitesse.
Mais tout à l'heure, j'ai ralenti car il y avait ces deux filles au bord de ma route
qui marchaient, je les ai trouvées incroyablement belles avec leurs cuisses
ultra bronzées et leurs sacs à dos mal équilibrés.  
Il y avait dans leurs yeux une sauvagerie certaine, une fierté d'être là au bord de
cette route et d'être vues par les automobilistes qui, comme moi, passaient si près d'elles.
Au retour, je me suis demandée si j'allais les revoir, et oui, elles n'étaient plus
qu'à quelques pas de chez moi où malheureusement je ne les inviterai pas.
J'aurais aimé leur poser quelques questions, peut-être les photographier, ou
simplement leur offrir un verre d'eau ou un café, c'est la seule chose que je sais
faire un bon café. J'aime bien offrir des cafés.
Elles étaient de dos cette seconde fois, celle de droite, la plus blonde des deux je crois,
avait un tatouage sur son mollet droit. Elles ne sauront jamais que j'ai écrit ces quelques
phrases en pensant à elles. Les autres savent si peu souvent que l'on pense à eux, et
que parfois, même, on écrit sur eux, avec eux.

Hier, j'ai fait la cuisine

Le soir à table, après 2 tartes brûlées, ma fille m'a dit  :
«  On dirait que tu rajeunis, que tu redeviens comme un enfant.  »

Les hésitations

Quand j’hésite, je ne fais pas
(du moins, pas tout de suite).

Le féminin

Mes nuits sont peuplées de fantômes

Communication/désintégration

« Est-ce que quand une mouche vole ou qu'un ange passe c'est là qu'on communique le mieux. Qu'on communique tout ce qu'on a pas à se dire et qu'on voudrait quand même qu'on le sache. Mais si les autres le savent est-ce que je ne vais pas me désintégrer et par conséquent désintégrer les autres si je le dis. » 


Charles Pennequin « Dedans »

Les demoiselles

 

 

L'accident

Quand je suis énervée, je roule toujours plus vite.
Pourtant les routes ne sont pas plus larges, mais ce sont mes pensées qui font des nœuds.
Depuis que j’ai tardivement passé mon permis de conduire, j’ai souvent imaginé que j’allais finir
ma vie comme ça, dans le fossé, au bord d’une route. Un accident.
Oui, je me vois bien là, le visage en sang et le cœur qui s’est brutalement arrêté de battre.
Une mort douce, finalement.

 

Le temps qui passe

Quand je pense temps, je pense souvenirs.
Les pensées ne sont-elles donc jamais sages.
Je ne veux pas relire mes vieux carnets
(mais je suis heureuse de savoir qu’ils existent).
C’est compliqué les souvenirs.
C’est très compliqué les souvenirs.

La page blanche

Mon mémoire devait s’intituler : « L‘art du discours chez Jean Eustache ».
Cette valise contient tous les documents que j’avais trouvés et qui devaient
me permettre d’écrire aisément une centaine de pages.
J’avais même commencé la rédaction d’un plan détaillé.
Quand j’ai découvert cet article paru dans Libération, il y a quelques jours,
j’ai immédiatement pensé que ce serait une belle occasion pour reparler de
lui après toutes ces années.
Une fois les photographies faites, je me suis retrouvée face à une page blanche
et j’ai cherché mes mots.
Je n’ai jamais terminé ce travail.
Je crois que c’est de cela dont je voulais parler.
De ma difficulté à aller au bout des choses.
Cela m’a laissée sans voix.
Et cette nuit, j’ai mal dormi.

La main frappe

La main frappe, ses doigts se tordent. La main se tord,
ça fait mal, ça frappe encore. Les doigts qui frappent
sans effort. Mais c’est ma main sous mes doigts.
Faut que ça frappe, mais pas trop fort.
Faut que j’y aille, mais pas trop fort.
Je ne sais pas où sont mes doigts,
cachés dans ma main.
Peut-être, mais ça me tord.
Ça me frappe en dedans, mais en dehors aussi.
Où sont passés mes doigts? Et ma main?
J’ai perdu ma main. Et mes doigts aussi. 

La bétadine

Le matin, dans la salle de bain, ça sent la Bétadine. 
Je connais cette odeur.
J’ai déjà utilisé ce flacon rouge.
Hier ou demain, peut-être. 
Je dois attendre, alors j’attends. 
Il me reste bien quelques dirhams dans la poche. 
Et à peine de quoi m’offrir un café dégueulasse pour patienter. 
Je ne suis pas négative, j’attends. 
Une infirmière informe ses collègues qu’elle a un diplôme d’hôtesse de l’air. 
Mais à moi, elle ne dit rien. 
Une femme pleure dans le couloir quand on lui ramène enfin le brancard tant attendu. 
Elle a trouvé ça long d’attendre pendant 4 heures. 
Je la comprends. 
L’hôtesse de l’air, visiblement, beaucoup moins. 
Entre hier soir et ce matin, j’ai dit un nombre incalculable de conneries. 
Ce n’est pas tous les jours que l’on prend le risque de perdre un oeil.