Pour ce voyage, en apparence nous étions 2, mais en réalité nous étions 3.
Lui, elle et moi.
Elle, c'était une TransAlp que nous avions louée sur place.
Elle était parfaite.
Je la trouvais parfaite.
J'étais d'humeur parfaite.

Nous avions des milliers de kilomètres à parcourir.
Ça promettait d'être long, mais j'étais absolument partante car je savais que rien
ne pouvait entamer mon enthousiasme.
J'étais comme une enfant au pied d'un sapin de Noël.
Des kilomètres de routes en guise de cadeaux.

Nous avons donc roulé, roulé, roulé, jour après jour, en luttant contre le vent, et quel vent  !
Il y eu la pluie aussi, et même la neige, quand nous avions prévu de dormir sous une tente.
La nuit fut glaciale et le ciel intensément bleu au petit matin.
Les éléments naturels faisaient partie intégrante de ce voyage.

Il serait pourtant parfaitement injuste de ne pas parler des dizaines et des dizaines de
personnes que nous avons simplement croisées et qui se sont laissées tranquillement
photographier, celles avec lesquelles nous avons sympathisé, leur chaleur humaine,
cette façon bien à eux de vous inviter le plus naturellement du monde à partager leur repas.

Notre compagne de voyage attirait tous les regards.
Elle était le plus souvent notre premier sujet de conversations.

Et puis arrive la chute. Pas spectaculaire la chute, non.
Une chute au ralenti, la moto qui s'enlise et qui se couche sur le côté, dépassée par le poids
de nos multiples bagages.
Lui s'en échappe rapidement quand, moi, je pose maladroitement un pied par terre.
S'ensuit le bruit de l'os qui se brise et dont le son résonne au milieu de nulle part.
Je ne peux plus marcher.
Je ne suis même pas certaine d'avoir mal.
Je ne veux pas partir.
Je ne veux pas rentrer.
Je suis prête à supporter ce plâtre qui pèse si lourd pendant tout le reste du voyage.
Il faut simplement trouver un stratagème.

Mais le médecin est formel, je devrai me faire opérer dans les jours qui suivent.
Il faut rentrer.
Je ne veux pas rentrer.
Pas maintenant.
S'il vous plait, pas maintenant.

Après  ?
J'ai détesté l'après.
Le retour. Le ciel gris. Les murs blancs de la clinique. L'infirmière glaciale.
Même le chirurgien avec son joli sourire et sa nonchalance bienvenue.


Salaud de père Noël  !
Il n'a pas supporté que je m'offre moi-même mon cadeau, alors il s'est vengé.
Ça doit être ça.
Aujourd'hui, ça fait 10 ans et ma cicatrice a presque disparu.
Mais ce voyage a gardé un goût d'inachevé, quelque part coincé là, au fond de ma gorge.